L'ange après le démon

projection william ecole de la marine

Au Havre, dans les locaux dévastés d’une école de marine marchande, Jean-Marie Châtelier explore la mémoire de William Deligny, ancien skinhead revenu de l’ultraviolence pour embrasser la carrière de moine hindouiste.

Retour aux années 1980, quand le jeune prolo se découvre une capacité à terroriser autrui et se prend de passion pour sa nouvelle famille : un gang de skins au sein duquel la haine fait office de ciment. Un clan, national-socialiste, des pitbulls, bêtes et méchants. Indiscipliné, incontrôlable même par la police, William fonde Evil Skins avec ses potes, un groupe rock qui connaît un relatif succès, et s’enivre de sa brutalité et de l’effroi qu’il occasionne.

Son témoignage, qui mêle les remords et un brin de fierté, parle aussi d'une conversion radicale : suite à une overdose de violence, la haine perd sa consistance, la brute devient émotive, l’ange se dévoile sous le démon… L’ex-néonazi devient une être plein de compassion, doux et amical, un dévot libéré de l’envie, qui vient en aide à son prochain pour se racheter de tout le mal qu’il a commis.

Voici donc le parcours inouï d'un homme en qui luttent les forces du bien et du mal et chez qui, pour cette fois, l’histoire se termine bien.

Excentrics, une collection KuB en partenariat avec la Scam

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BANDE-ANNONCE

WILLIAM ET LES FANTÔMES

de Jean-Marie Châtelier (2021 - 52’)

Retrouvez ici la bande annonce de cette oeuvre (les droits de diffusion sur KuB sont arrivés à échéance).

En 1980, William Deligny n’a pas 15 ans. C’est un môme pétri d’une colère qui semble contaminer une partie de la jeunesse de ces années post-punk. Au lycée où ses parents l’ont inscrit pour l’éloigner de la violence de la cité, il rencontre une poignée de skinhead. Avec trois de ces jeunes extrémistes, il crée le groupe Evil Skins. C’est le début d’une décennie d’ultra-violence dont il ne sortira qu’au mitan des années 1990 pour devenir moine hindouiste.

>>> un film produit par Jean-Michel Variot de Scotto Productions

Étoile de la Scam 2022

INTENTION

De l’ombre à la lumière

William regarde les pellicules - William et les fantomes

par Jean-Marie Châtelier

C’est en 2013, dans le cadre de l’affaire Clément Méric que les noms de Régis du Havre et William Deligny ont ressurgi sur le devant de la scène. Considérés comme les protagonistes incontournables de la mouvance skinhead en France pendant les années 1980, on a pu lire leurs témoignages dans différents articles. Mais, contrairement à d’autres criminels de ce gang, William n’a commis aucun meurtre. Il n’est même jamais passé par la prison. Alors, presque 30 ans après cette triste et furieuse épopée, j’ai eu envie de partir avec ma caméra à la rencontre de cette légende que je croyais morte en même temps que mon adolescence.


En effet, revenir sur le parcours impensable de cette figure iconique du mouvement skinhead, c’était aussi un moyen de raconter la France de ces années 1980, ce territoire que l’on ne reconnaît que difficilement aujourd’hui, et dans lequel la queue de la comète punk avait laissé son empreinte. Filmer cet homme, enregistrer sa parole, c’était aussi chercher à radiographier ce qu’a pu être cette France de mon adolescence : la France de toutes les cohabitations, de Mitterrand et de Chirac, de Malik Oussekine et des voltigeurs de Charles Pasqua, de la chute des utopies communistes et de la fin d’une certaine bourgeoisie, traditionnelle et catholique, dont j’étais le produit. Tout un pan de la jeunesse se retrouve orphelin de ces idéaux. Une génération entière à se prendre les pieds dans les abdications et les renoncements de leurs aînés. La colère est pourtant toujours là, légitime et urgente. Et quand on est un gamin un peu énervé, que les doigts vous démangent, dans le meilleur des cas, on attrape une guitare pour reprendre No Futur et, dans le pire des cas, on ressort la rengaine putride des vieux fachos.
J’ai souhaité raconter ce parcours en me focalisant sur la parole de William Deligny, pour orienter ma caméra uniquement sur cette figure de résilient si peu ordinaire. Je ne cherchais pas, tel un journaliste, à comprendre de façon neutre et distante ce qui a pu justifier les choix de cet homme. Ce qui m’intéressait, et m’a tout de suite profondément intrigué chez William, c’est tout ce qui est invisible mais que l’on soupçonne pourtant chez lui ; tout ce qui est masqué par le spectaculaire de son existence. Les rares fois où la télévision a braqué ses projecteurs sur William Deligny, il m’a dit en être ressorti déçu, presque blessé même. Blessé de n’avoir pas été entendu. De n’être passé que pour un phénomène de foire un peu monstrueux, sous le regard avide de voyeurs invisibles. Avec des existences aussi folles que celles qu’a connues William, on marche évidemment sur des œufs. Ces histoires sont du petit lait pour les amateurs de fanfaronnades exhibitionnistes. Certains plateaux télé grouillent d’ex-criminels ou d’anciens braqueurs vantant les joies de la rédemption et les plaisirs réparateurs de la confession littéraire. Mais, chez William, on ne sent aucune fierté à revenir sur ses délits passés. Au contraire ! Ce film ne s’inscrit donc pas dans cette logique de marchandisation de l’intime. Ce que je voulais, c’était donner à voir ce lent passage de l’ombre à la lumière. Prendre le temps du documentaire pour mettre en scène la parole de cet homme qui n’est plus la bête enragée qu’il a été. Lui proposer un nouveau cadre pour partager le récit de son existence tourmentée.
Mais filmer William Deligny ne pose pas simplement l’épineuse question de la représentation de la violence, de la cruauté, de l’extrémisme. Elle pose aussi celle de la place à accorder à la parole d’un repenti et de la forme à donner à cette parole. On ne peut pas, dans un documentaire, inviter une femme ou un homme pour qu’elle ou il évoque ses crimes passés et enregistrer ses regrets éventuels sans penser à la place des victimes qui ont subi ces violences passées. Il fallait donc inventer une forme particulière, un dispositif de mise en scène qui puisse rendre compte de toutes ces ambiguïtés. C’est pourquoi je n’ai pas souhaité filmer William uniquement dans son temple de Saint-Étienne-du-Rouvray. J’ai aussi voulu le filmer dans les ruines de l’Hydro, l’ancienne école de la marine marchande du Havre, situé sur les falaises de la Hève, à l’endroit même où les skins s’entraînaient à la guérilla urbaine dans le reportage du magazine Photo, de janvier 1986. Cet ensemble domine les blockhaus aujourd’hui entièrement tapissés de tags et dans lesquels William et ses acolytes venaient parfois il y a plus de 35 ans. Il me semblait également important que la parole de William dialogue avec les quelques rares archives télé consacrées à ce mouvement. J’ai décidé de les projeter sur les murs lépreux des bâtiments, faisant ainsi de ces vidéos des souvenirs obsédants, difficilement effaçables et sales. Enfin, le choix du dessin et de l’animation a été fait pour illustrer les scènes de violence racontées par William Deligny. Ce dispositif permettait de raconter la cruauté et la barbarie en introduisant la distance nécessaire pour supporter l’insupportable, mais également de donner à voir la progressive métamorphose de William, de son overdose de violence à son inondation d’amour.

BIOGRAPHIES

William Deligny

William Deligny moine

William Deligny naît en 1967 à Levallois-Perret. Il grandit dans un HLM à Bagnolet, en banlieue parisienne, avec son père employé de la RATP, sa mère femme au foyer, son grand frère et sa grande sœur. À dix ans à peine, il commence l’alcool et les cigarettes, les vols de voiture et les cambriolages de caves. Puis, vers douze ans, il s’intéresse au rock, et, plus tard, au hard-rock. Il chine chez les disquaires, se laisse pousser les cheveux et tente de se donner un look punk. Pour éviter qu’il ne devienne un délinquant, ses parents l’inscrivent au lycée Saint-Sulpice, rue d’Assas. C’est là qu’il y rencontre Le Tyran, un skinhead de la bande de Tolbiac. Commence alors pour lui dix années d’ultra-violence au sein des skins de Tolbiac, puis de Gambetta et de Saint-Michel. Entre deux rixes, il fonde avec des amis skinhead le groupe de rock néonazi Evil Skins. Puis il s’engage dans l’armée, chez les parachutistes. Mais il n’est pas assez discipliné ; il est réformé.


Au début des années 1990, il commence à se détourner des skinheads. Il monte un nouveau groupe de rock, les Teep’n’Teepatix, sans idéologie raciste, avec Fesni et Bertrand, deux anciens amis skins qui ont eux aussi quitté le mouvement. Puis, grâce à l’intermédiaire de Fesni, il s’intéresse de plus en plus à la spiritualité, à la méditation et à l’hindouisme. Il devient moine et, en 1995, il part en Inde pour approfondir ses connaissances sur le vaishnavisme et y rencontrer son maître spirituel. À son retour en France, il expérimente la vie dans plusieurs communautés hindouistes sans jamais réussir à s’épanouir pleinement. Il rêve d’une congrégation libre, à mille lieues des retraites sectaires où gravitent gourous et illuminés rencontrés pendant ces années de formation spirituelle. En 2003, il parvient à ouvrir un temple vaishnaviste dans l’agglomération de Rouen, à Saint-Étienne-du-Rouvray. C’est là qu’il réside dorénavant. Il y continue son apprentissage de la religion, organise des distributions de nourriture, va prôner la non-violence avec son groupe de moines-bikers dans les motos clubs les plus violents de la région et propage des idées positives grâce à son groupe de rock Dayal Nitaï.

Jean-Marie Châtelier

Portrait Jean Marie Chatelier

Jean-Marie Châtelier est un réalisateur né au Havre. Il quitte son port d’attache à la fin des années 1980 pour aller étudier à Paris. Mais il revient rapidement dans sa ville natale et décide d’en filmer toutes les facettes. En 2016, il s’intéresse au passé rock de la ville en réalisant le documentaire Le Havre Cité Rock, Never Cry about the Past. La mer tient également une place importante dans son travail, comme en témoigne la réalisation de son film Jobic l’inconsolable, qui raconte l’histoire de son père, ce marin breton victime de la crise de la marine marchande et contraint de se réadapter dans l’industrie havraise.
Par ailleurs, il cofonde l’association I love LH pour promouvoir la richesse de la vie artistique havraise, et créer des passerelles entre les arts.

REVUE DU WEB

Skinhead repenti

KONBINI >>> Entretien avec William Deligny, sur son passé de skinhead et sa nouvelle vie de moine rock’n’roll.

FRANCE INFO >>> Retour historique sur la sous-culture skinhead, née dans la classe ouvrière anglaise des années 1970.

FRANCE CULTURE >>> Farid, le premier skinhead de France, revient sur son passé et la création du gang des skins des Halles.

COMMENTAIRES

  • 5 mars 2023 14:18 - Fred Dumas

    Mystifié par la profondeur et la justesse et du mec et de ce reportage. Thumbs up

  • 6 février 2023 17:41 - Michel Courtilly

    Bravo pour ce reportage qui prend aux tripes !

CRÉDITS

réalisation, scénario et voix-off Jean-Marie Châtelier
image Nicolas Eprendre, Corentin de Meirler
drone Aurore Chauvry
son Samuel Tiennot

montage Edith Paquet
animation Tim Duprez
musique Olivier Lecoeur

coproduction Jean-Michel Variot - Scotto Productions, France Télévisions
avec la participation du CNC, de la Région Normandie et de Normandie Images

Artistes cités sur cette page

William Deligny moine

William Deligny

Portrait Jean Marie Chatelier

Jean-Marie Châtelier

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