Intersexes, sortir du silence
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Le conformisme social : puissant mouvement collectif visant à faire entrer les gens dans le moule. Les institutions y œuvrent, mais les individus aussi. Les incarnations de l’a-normalité font peur. La tentation est grande de faire disparaître ce que l’on a tôt fait de qualifier de monstruosité. Les totalitarismes s’y prennent sans détours, les démocraties normalisent en douceur, avec la complicité de la médecine.
C’est ce que vivent jusqu’à présent ceux/celles qui naissent avec un sexe indécis, ni vraiment verge, ni vraiment vulve. Grande source d’angoisse pour les parents, et solution technique clé-en-main pour sortir de l’indécision. Un chirurgien aidera l’hésitant pénis à sortir de sa gangue, ou au contraire, le supprimera au profit d’une forme sexuellement plus féminine. Un traitement hormonal viendra conforter le choix plastique. Le problème c’est qu’il y a derrière ce sexe indéterminé, un être humain dont on ne se préoccupe guère. On s’occupe du problème, et il/elle s’en accommodera.
Et si nous sortions du Moyen-Âge ?
ENTRE DEUX SEXES
ENTRE DEUX SEXES
un film de Régine Abadia (2017 - 57')
Vincent Guillot découvre, tardivement dans sa vie d’adulte, qu'il est intersexe. Depuis il n'a de cesse d’aller au devant d’autres comme lui, comme une quête pour comprendre qui il est.
Ins A Kromminga est un artiste allemand, dont les dessins évocateurs racontent mieux qu'un discours ce que vivent les intersexes. Ins fait partie de ces individus dont l’intersexuation s'est dévoilée à l’adolescence. Déclaré fille à la naissance, son corps a commencé à prendre des caractéristiques masculines à la puberté.
Vincent vit en pleine campagne en Bretagne et Ins à Berlin. C’est avec un discours déterminé, non dénué d’humour, qu'ils se battent pour l’émancipation d'une minorité invisibilisée et meurtrie.
Ces personnes ont décidé d'afficher avec fierté leurs différences et revendiquent la reconnaissance de leurs droits dans une société où la médecine intervient non pas pour soigner, mais pour normaliser des corps nés avec une morphologie sexuelle externe et/ou interne qui n'est pas clairement féminine ou masculine. C’est à coup de bistouri et d'hormones sexuantes que sont fabriqués des petites filles ou des petits garçons.
Une résidence initiée par Vincent Guillot est organisée à Douarnenez, conçue comme un temps d’échappement à l’invisibilisation, un espace pour se dire et exister, pour se réapproprier un corps qui a été mutilé, stigmatisé, regardé avec dégoût. De nombreuses nationalités y sont représentées, des cultures aussi différentes que celles de Taïwan, de Bulgarie, d’Autriche ou du Congo ; tous semblent faire partie d'une même famille : une internationale intersexe, car tous ont vécu des histoires similaires et expérimenté les mêmes traumatismes.
>>> un film produit par Arturo mio, Caroline Roussel et Spirale Production, Anne Luart.
Prix en festivals:
Prix Soulever des Montagnes au Festival Imagésanté de Liège (Belgique)
Prix du Public au Festival Des Images aux Mots de Toulouse (France)
Prix du Public et Prix du Documentaire au Festival CinHomo Muestra Cine LGBT de Valladolid (Espagne)
Prix du meilleur documentaire au festival du film insolite de Rennes le Château (France)
La question intersexe
La question intersexe
par Régine Abadia
Août 2012, mon documentaire Jenny Bel'Air, portrait d’une personne transgenre, est sélectionné au festival de Douarnenez, un festival de cinéma axé sur les peuples minoritaires, mais intégrant également des sections Monde des sourds et Minorités sexuelles : trans et intersexes (les anciens termes utilisés étaient hermaphrodisme, androgynie). J'y rencontre Vincent Guillot qui anime les débats autour des films et se présente comme intersexe, un personnage charismatique qui explique au public qu'une personne intersexe présente une morphologie sexuelle externe et/ou interne qui n'est pas typique des normes sexuelles officielles. Il explique la grande variabilité de cas d'intersexuation, souvent détectée à la naissance mais qui peut aussi se révéler à l’adolescence.
Je tombe des nues... À une époque où le débat autour de la question du genre s'est imposé, comment se fait-il que la question intersexe soit si méconnue ?
Depuis les années 50, la médecine occidentale a choisi de normaliser ceux qui naissent avec des caractéristiques sexuelles atypiques. Vincent a ainsi été transformé en garçon. S’il avait atterri au sein d’une autre équipe médicale, il aurait pu être transformé en fille.
Des milliers d’enfants ont été et sont toujours opérés, hormonés, sans qu’on leur explique ce qu’on leur fait, ce qu’on leur coupe, ce qu’on leur fabrique, en leur imposant un genre. Or, la plupart du temps, ces enfants pourraient très bien vivre avec leur particularité, et choisir -ou pas- de se faire opérer à l’âge adulte.
C’est avec Vincent que je me rends en décembre 2012 au deuxième forum international de Stockholm organisé sous l’égide de l’ILGA (International Lesbian, Gay, Bisexual, Trans and Intersex Association). C’est là que je rencontre également Ins A Kromminga et plusieurs autres intersexes qui participeront au film.
Il était important pour moi qu'Entre deux sexes soit ancré dans la vie. Je souhaitais alterner des moments d’entretiens avec des scènes en situation, proches des regards, dans l’improvisation des rencontres et des échanges, avec ces petits moments informels captés lors de discussions au coin d’une table ou en balade. Si Vincent Guillot et Ins A Kromminga sont les deux personnages principaux, il me semblait capital d’avoir d’autres témoignages. La résidence internationale intersexe organisée à Douarnenez, et qui clôt le film, m’a donné cette possibilité. Il est troublant de rencontrer des gens des quatre coins du monde, qui ont vécu des histoires similaires et expérimenté les mêmes traumatismes. Leur résilience vient de ce sentiment d’être des survivants, tant le nombre de suicides dans cette communauté est élevé.
Le film résonne comme un hommage à la différence, aborde de nombreuses réflexions sur les notions de normalité et d’anormalité, voire de monstruosité ; sur le secret, le tabou, l’interdiction de dire ; sur l’importance de l’affirmation d’une identité ou comment réintégrer l’humanité dont on s’est senti exclu ; sur les traumatismes et comment s’en libérer ; sur les erreurs de la médecine et le voyeurisme de la science ; et bien sûr sur le genre et le sexe.
Le mot de la fin revient à Vincent Guillot : Le tiers-paysage, c’est ces endroits oubliés où la nature reprend ses droits. Des endroits dont on ne parle pas, qui n’existent pas, et qui pourtant existent. Et il y a le tiers-sexuel qui sont tous ces espaces qui ne sont pas pensés par la société, qui ne veut pas y penser, qui ne sont jamais nommés, et dont nous faisons partie, nous les intersexes.
Régine Abadia
Régine Abadia
Régine Abadia a réalisé son premier court métrage en 85 (Premier Outrage, prix Canal Plus au festival de Villeurbanne). Elle a réalisé ensuite plusieurs courts et moyens métrages de fiction tous primés dans des festivals dont Les Bêtes qui a obtenu le Grand Prix du festival de science fiction et de l’imaginaire de Roanne en 1993.
Depuis une quinzaine d’années, elle réalise des documentaires dont Viva Dada en 2016 et Entre deux sexes en 2017; et Les contrôleurs de l'ombre pour LCP en 2020.
Elle est en production de La femme sans nom, l’histoire de Jeanne et Baudelaire, pour France 5, produit par Little Big Story.
Elle prépare un long métrage Le cabaret des mirages (aide à l’écriture Région Bretagne, aide au développement du CNC) produit par Lilith Films. Tournage prévu en Bretagne au printemps 2021.
Elle est aussi scénariste et photographe.
Vincent Guillot
Vincent Guillot
Vincent Guillot est militant intersexe français, cofondateur et le porte-parole de l'OII Organisation internationale des intersexués. Il parle de lui au masculin et au féminin.
Il a été assigné garçon à la naissance. À sept ans, ses parents, sous influence médicale, lui font croire qu'il faut l'opérer de l'appendicite pour justifier une opération chirurgicale destinée à valider son assignation sexuelle. Il subira en tout une dizaine d'opérations pendant l'enfance, dont il ignore toujours la nature exacte. Son dossier médical est vide. Vincent comprend qu'il est intersexe en regardant un reportage sur le sujet en 2002. Il s'installe alors à Paris et prend contact avec une association de personnes transgenres, avant de se tourner vers le militantisme intersexe. Après avoir participé à la création de l'OII, il organise la première université d'été consacrée aux personnes intersexes en 2006, à Paris.
Vincent Guillot milite pour ce qu'il considère comme des droits fondamentaux : l'autodétermination des personnes intersexes, l'arrêt des mutilations effectuées sur les enfants, ainsi que l'accompagnement psychologique des parents, avec à terme l’abolition de la mention de sexe pour tous les citoyens. Vincent vit désormais avec son mari dans une ferme du Finistère. Il souffre de lésions neurologiques liées aux opérations qu'il a subies dans sa jeunesse.
Ins A Kromminga
Ins A Kromminga
Ins A Kromminga puise son inspiration de ses expériences personnelles, en tant que personne intersexuée. Son univers, peuplé de mutants, monstres et marginaux reflète la dureté d'une société assujettie à des normes cruelles. Les dessins parfois à la limite du supportable sont comme un miroir tendu à ceux qui créent ces normes. Ins milite pour la cause intersexe depuis 2000, par nécessité mais aussi parce que c'est la continuité naturelle de son travail qui interroge sur les violations des droits humains et la stigmatisation de la communauté LGBTQI.
Ins A Kromminga est également responsable de la sensibilisation et des campagnes pour l'OII- Europe (l'Organisation internationale des personnes intersexes - Europe ).
Le droit à l’autodétermination
Le droit à l’autodétermination
FRANCE CULTURE >>> Dannie, Vincent et Ikram sont intersexué(e)s - ou hermaphrodites. Les médecins et leurs parents leur ont choisi un sexe à la naissance. Ils racontent aujourd’hui leurs difficultés et leurs besoins.
LIBÉRATION >>> Portrait de Vincent Guillot, rangé de force par la médecine dans la case homme, cet écorché défend la cause des intersexes.
KOMITID >>> Au lendemain de la Manif pour tous, Vincent Guillot, membre fondateur de l'Organisation internationale intersexe, a publié cette lettre à son fils.
SLATE >>> L'intersexualité concerne près de 2% d'entre nous. À travers les rares fictions réalisées sur le sujet et quelques documentaires extrêmement éclairants, le podcast Mensplaining effectue un tour d'horizon d'une situation trop méconnue, vécue par des personnes qui souffrent généralement en silence.
TÉLÉRAMA >>> Pour conformer les personnes intersexes à la norme, les médecins ne proposent souvent qu’une réponse définitive : le recours à la chirurgie. L’avocate Mila Petkova appelle à cesser les opérations.
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